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La Route d’Homme

Depuis quelques jours, je souffre :

J’ai rouvert ces jours-ci le livre que j’ai écrit en  1991  : « La Démocratie Mal-consciente : une Place pour l’Homme » (Trente années … déjà …) : il m’est assez douloureux de constater que les dérives des mondes politiques, économiques, médiatiques, éducatifs, que j’y analysais n’ont fait que s’amplifier, et que les  conséquences probables que j’envisageais se vérifient aujourd’hui.

L’actualité de notre époque offre à beaucoup l’occasion d’ouvrir enfin les yeux sur les pièges et les ombres que j’évoquais alors (bien évidemment j’étais loin d’être le seul )… C’est tant mieux ! En effet, cette lucidité sur les ombres  (celles qui nous entourent et les nôtres)  est une étape essentielle pour que se multiplie le nombre de ceux qui souhaitent « rallumer les lumières » …   (en eux et autour d’eux).

D’ailleurs, plusieurs ami(e)s, me sachant criminologue de formation, m’ont récemment appelé après avoir visionné l’une ou l’autre des vidéos dénonçant les sombres noirceurs du monde qui commencent à circuler plus largement qu’avant sur le net  : le confinement a eu du bon pour les consciences !

Cette prise de conscience peut  s’accompagner de divers sentiments : sidération, colère, dégoût, tristesse, découragement …    avec lesquels s’ouvrent les classiques possibilités de réponse : indifférence, déni, fuite (ou oubli), attaque, sublimation …  

Laquelle choisirez-vous ?

Il existe une autre voie : celle de l’engagement conscient sur les chemins de son intériorité, afin qu’en y retrouvant son Âme, l’Être se reconnecte à l’humanité (la sienne et celle qui l’entoure) pour y exercer alors avec courage la fonction qui doit être la sienne.

La conclusion de mon ouvrage de 1991 invitait à un supplément d’Âme, et à emprunter avec courage sa « route d’Homme » en regardant un peu plus vers le ciel…  

L’Appel aux Âmes lancé dans le sous-titre de mon récent ouvrage est donc la continuité de cet « ouvrage de jeunesse » . D’ailleurs sa conclusion est un peu dans la même veine (Mais ce sera pour une autre fois !)


Conclusion de « La Démocratie Mal-consciente » (1991)

 « (…) La démocratie mal-consciente a épousé un libéralisme mal-pensant :  quels fruits ces deux là peuvent-ils porter?

L’oligarchie politico-économique, de quelque parti que ce soit, se préoccupe exclusivement de la survie de ces systèmes, survie dont dépend leur pouvoir : les systèmes deviennent ainsi la finalité et l’homme le moyen.

Nous sommes à l’heure des choix. Nous sommes libres de choisir, mais nous sommes aussi responsables pour les générations futures des choix, ou des non—choix que nous poserons: Tant que l’homme ne redeviendra pas la finalité du système, la mise en place des réformes nécessaires pour permettre l’évolution de l’homme sera quasi—impossible. Or, tout cet ouvrage l’a démontré, cette évolution est la condition de la survie du système.

N’étant ni homme politique, ni bâtisseur de système, mais simple citoyen et homme libre au sein du monde, cet appel à l’évolution est le seul “message” que je puisse apporter. Et je serais heureux si ceux qui me lisent gardent de mes arguments, de mes raisonnements, et de mes intuitions, ce qui leur est utile dans leur tâche quotidienne d’homme et de citoyen.

A défaut de ce résultat, il me restera à souhaiter, avec A.Comte-Sponville, que les prophètes aient vraiment toujours tort!

Mais, après tout, qu’ils aient tort où raison, qui peut nier que les prophètes participent à l’histoire? À cette histoire que l’Humain d’aujourd’hui, pas plus que celui d’hier, n’a la sagesse de “comprendre:

“Aujourd’hui est aujourd’hui parce qu’hier fut ce qu’il fut. Si aujourd’hui est comme hier, demain sera comme aujourd’hui. Si vous voulez que demain soit différent vous devez vous rendre aujourd’hui différent”. (G.I Gurdjieff, in “Fragments d’un enseignement inconnu”, Ouspenski).

Alors, depuis la nuit des temps, les mêmes prophètes apportent le même message: Aujourd’hui les prophètes ne sont plus ces dangereux agitateurs arpentant la cité en haranguant les foules: Ils sont philosophes, scientifiques, parfois encore religieux, ils effectuent de longues recherches, puis s’adressent aux foules en écrivant de multiples livres, en apparaissant dans les médias…

Pourtant, comme les prophètes de jadis, l’immense majorité des hommes ne les entend pas, et la plupart de ceux qui les entendent oublient très vite.

Je voudrais ici citer Bergson, qui déjà en 1932 en appelait à un supplément d’âme. (Les deux sources de la morale et de la religion, P.U.F). “L’homme devra peser sur la matière s’il veut se détacher d’elle… La mécanique a été lancée sur une voie au bout de laquelle étaient le bien-être exagéré et le luxe pour un certain nombre, plutôt que la libération pour tous… Nous ne voyons pas le machinisme dans ce qu’il devrait être, dans ce qui en fait l’essence”… Pour lui, les machines sont venues donner à notre organisme une expansion vaste et une puissance formidable, mais disproportionnées à la capacité de le diriger.

 “Or, dans ce corps démesurément grossi, l’âme reste ce qu’elle était, trop petite pour le remplir, trop faible pour le diriger. D’où le vide entre lui et elle. D’où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux,(…) qui pour le combler provoquent tant d’efforts désordonnés et inefficaces:

Il y faudrait de nouvelles réserves d’énergie potentielle, cette fois morale. Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Cette mécanique ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra les services proportionnés à sa puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser et à regarder le ciel”.

Combien d’autres encore, connus ou inconnus, de tendances diverses, dont les travaux nous appellent à l’évolution: des dizaines, des centaines.., dont l’œuvre reste apparemment lettre morte!

Puisqu’il en est ainsi, c’est encore à l’histoire que reviendra le dernier mot, ce qui, en ces temps agités ne me réjouit pas.

Et pourtant, enchaînés par la société, crucifiés par l’avidité humaine, ce sont eux —les prophètes– qui seront les victorieux:

C’est inspirées peu à peu par leurs idées que les jeunes générations bâtissent jour après jour leurs sociétés, dans la peine et dans la joie…

Constatant la montée de l’unification sociale, celle de la technique et du machinisme, rationalisation croissante, Teilhard de Chardin écrivait, optimiste: “à ce stade semi-passif de notre hominisation, ne nous imaginons pas que ce soit à des puissances d’asservissement, mais reconnaissons que c’est à des forces de libération que nous sommes en proie”. (L’avenir de l’homme, 1948, Seuil).

L’optimisme est permis car beaucoup des conditions nécessaires à une évolution décisive sont maintenant réunies: le fait que l’émotion, la passion, le désir l’emportent sur la raison n’est pas forcément synonyme d’échec, car il faudra beaucoup de passion, d’émotion pour remuer les immobiles.

En ce sens, comme l’écrivait Michel Mafesoli, “il vaut mieux se colleter avec les valeurs dyonisiaques qui réapparaissent” car, si naît un “néo-tribalisme qui par bien des aspects ne laisse pas d’être inquiétant, il force à penser les modulations d’un consensus à venir. C’est bien de cela dont il s’agit “cum sensualis”. (M. Mafesoli, L’ombre de Dyonisos, 2éme édition, librairie des méridiens, 1985).

Mais l’homme d’aujourd’hui saura t-il, dans sa vie quotidienne, mettre sa passion et ses émotions au service de son propre progrès par priorité au progrès technique ou financier?

Nos sociétés lui fourniront-elles les moyens de le faire?

Bien que, comme nous l’ont démontré nombre de scientifiques, en toute matière l’ordre naisse du chaos, faut‑il pour autant s’en remettre au chaos?

Qu’on n’aille surtout pas tirer la conclusion que l’homme n’a qu’à s’en remettre au pouvoir de ces “forces” évoquées par Teilhard, et justifier ainsi notre immobilisme par des “tout cela me dépasse”, des “ce n’est pas de ma faute” ou des “je n’y peux rien”.

J’ai pour ma part trop confiance en l’homme pour rejoindre le camp des pessimistes, mais en clôturant cette synthèse de quinze années de travaux et d’expériences d’apprentissage, je ne prétends pas savoir quelle est l’issue pour notre monde, car je sais “qu’il n’y a pas d’issue à choisir. Une issue ça s’invente. Et chacun en inventant sa propre issue, s’invente soi—même. L’homme est à inventer chaque jour”. (J.P Sartre, Qu’est-ce que la littérature).

S’inventant lui-même chaque jour, libre et responsable, l’homme pourra prétendre inventer des sociétés libres et responsables. Et quand bien même aucune de ces sociétés idéales ne verrait le jour, peu importe, car l’individu aurait atteint le but qu’il recherche depuis toujours: ce qu’il nomme le “Bonheur”, qu’il cherche par toutes les voies possibles autour de lui, et qui est caché au seul endroit où il n’a jamais pensé regarder.

Ainsi je conclurai, paraphrasant Dane Rudhyar, qu’il est donc toujours nécessaire de dire et de redire le message de la transformation possible.

“Il est nécessaire pour les prophètes d’arpenter les chemins qui pourraient être de gloire et de lumière et qui ne sont souvent que des chemins de croix; il est toujours nécessaire d’apporter les Bonnes Nouvelles aux sociétés qui s’écroulent inévitablement… Même si bien peu les entendront! “.

Les sociétés passeront, mais la route d’homme restera toujours ouverte à ceux qui choisiront courageusement d’y marcher pas à pas…

Alors, bonne route!

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